CHAPITRE 7



15,16,17 MAI : SUR LA SAMBRE, PUIS VERS MONS



Je venais à peine de m'étendre sur un lit, dans une maison de Louvière, lorsque je fus réveillé par le Lt-colonel de Blois qu'accompagnait un officier de l'état-major de la 1ère Armée porteur d'un ordre. L'ennemi avait réussi à franchir la Meuse, en plusieurs points, au sud de Namur, sur le front de la IX° Armée. En vue de couvrir le flanc droit de la 1ère Armée, les 3 G.R. du IV° C.A. devaient occuper les ponts de la Sambre, face au sud, entre Tamines (inclus) et Chatelet (inclus). Un bataillon du 122° R.I. était dirigé sur Charleroi. L'ensemble de ces unités était placé sous le commandement d'un commandant de brigade de la 2e D.L.M. : je désignai le général Lacroix.

A 7 heures, me parvient un nouvel ordre de la 1ère Armée: un bataillon du 27° R.I. est poussé sur Farciennes, un bataillon du 1° R.I. sur Chatelet. L'artillerie de la 2e D.L.M. ainsi que sa brigade de combat sont remises à sa disposition. Tous ces éléments constituent un Groupement provisoire qui est placé sous mes ordres ainsi que ceux réunis sous le commandement du général Lacroix; il doit être en liaison, à gauche avec les G.R. du V° C.A., à droite avec la 43e D.I. Son P.C. s'établit à Fleurus.

Le 8° Cuirassiers et le 1er R.D.P. restent sous les ordres du général commandant le Corps de Cavalerie qui doit établir un barrage sur le canal de Charleroi à Nivelles.

A 10 heures 45, l'ordre est donné de faire sauter les ponts sur la Sambre, à l'exception des ponts-routes de Chatelet et de Charleroi qui doivent permettre le repli des éléments du V° C.A. qui se trouvent encore sur la rive sud de la Sambre,, assurant la liaison avec la IX° Armée qui se trouve dans une situation difficile. Les routes sont toujours aussi encombrées et l'aviation ennemie les bombarde.

Je vais voir le général René Altmayer à son P.C. et rejoins Fleurus; un renseignement de la 1ère Armée m'ayant fait savoir que des chars ennemis avaient traversé la position de résistance occupée par ces divisions en direction de Saint-Gery, je porte la brigade de combat dans la région de Wangeneis, Vieux Campinaire et Balatre, Boignée de façon à pouvoir intervenir en cas de besoin.

A 14 heures, la situation du groupement est la suivante:
- Le groupement de G.R. du IV° C.A. (colonel Arlabosse) est en place, ainsi que celui du III° C.A. (Lt-colonel de Soubeyran). Les bataillons du 1° et du 27° R.P s'organisent; je n'ai encore aucune nouvelle du bataillon du 122° R.I. qui doit venir à Charleroi. L'artillerie a pris position.
- Deux détachements de découverte sont envoyés à Charleroi par le général commandant le Corps de Cavalerie (8° Cuirassiers).

Dans le courant de l'après-midi, une Instruction générale du commandant de la 1ère Armée me fait savoir la préparation du repli successif, en trois phases, d'est en ouest, au nord de la Sambre, de ses corps d'armée qui se retireront de la position de Namur, Gembloux, Vavre, sur le canal de Charleroi, Nivelles.

Je suis chargé de couvrir la droite de la 1ère Armée, sur la Sambre, pendant cette opération et passe sous les ordres du général commandant la V° C.A., corps d'armée de droite.

A 18 heures 30, je reçois d'une reconnaissance aérienne, que j'avais envoyée, le renseignement qu'aucun engin blindé ennemi n'a été aperçu dans la région de Saint-Gery; il me semble donc que le renseignement qui m'avait donné par la 1ère Armée était inexact.

A 23 heures, arrive l'ordre prescrivant aux corps d'armée d'exécuter leur repli sous la protection d'arrière-gardes; je règle, en conséquence, l'occupation et la défense du cours de la Sambre; seuls, des éléments légers ennemis sont venus, jusqu'à présent, en tâter les passages. Le bataillon du 122° R.I. est en place, à Charleroi; les liaisons sont bien établies avec le V° C.A. Je me suis assuré que chacun connaissait bien sa mission; le moral est partout très bon.

La nuit se passe sans incident sérieux. Exception faite des pelotons de chars que j'ai laissés à la disposition immédiate des unités qui occupent le cours de la Sambre, j'ai conservé la brigade de combat en réserve. Dans la matinée et au début de l'après-midi du 16 mai, seuls des éléments légers ennemis se présentent sur la rive sud de la Sambre, en particulier en face de Pont de Loup; mais, pris sous les feux de la défense, ils n'insistent pas.

On continue à entendre, un peu partout, des coups de feux isolés; près de Wangenies, j'apprends qu'un officier du 29° dragons vient d'être tué de plusieurs balles par des civils qui avaient tiré de la fenêtre d'une maison: on s'était aussitôt emparé d'eux.

Je perdrai ainsi, au cours de la campagne des Flandres, plusieurs officiers et gradés, lâchement assassinés.

A 18 heures, un ordre d'opérations du V° C.A. prescrit le repli de ce corps d'armée sur le canal de Charleroi au cours de la nuit du 16 au 17 et de la journée du 17, de Pont de Marchiennes inclus à Godarville exclus, en liaison avec la 43e D.I. qui tient le front de la Sambre en aval de Marpent et le canal de Charleroi jusqu'au pont de Gosselies. Les chars disponibles seront dirigés de suite sur Binche où ils seront, dès leur arrivée, à la disposition du général commandant la 43e D.I. (P. C.: Binche).

Le repli de mon groupement s'effectuera de la façon suivante:
- groupement des G.R. du IV° C.A., à partir du 17 mai, 4 heures ;
- groupement des G.R. du III° C.A. et bataillons du 1° et 27° R.I. à partir du 18 mai, 4 heures ;
- bataillon de Charleroi, à partir du 18 mai, 15 heures.

Tous ces éléments doivent tenir leur zone actuelle jusqu'aux jours et heures fixés; au fur et à mesure de leur repli, ils se rendront à Binche où ils passeront aux ordres du général commandant la 43e D.I. Le P.C. du général commandant le groupement se portera à Binche dès que celui-ci aura l'assurance que communication de ses ordres sera parvenue aux chefs des unités intéressées.

Après avoir vu personnellement tous les commandants d'unités, je pars pour Binche, dans la nuit.

J'y arrive vers 1 heure du matin; toutes les maisons sont fermées ou abandonnées et on ne peut trouver le général commandant la 43e D.I.

Je me porte alors à la Louvière, où est demeuré le P.C.2 et j’y apprends que le groupement qui avait été constitué sous mes ordres est dissous et que je passe à nouveau aux ordres du général commandant le Corps de Cavalerie: le lieutenant-colonel de Soubeyran, qui commandait le groupement des G.R. du III° C.A., m'avait rendu compte, entre temps, de ce qu'il avait atteint la Sambre, et que des infiltrations ennemies se produisaient dans la région de Gosselies et de Ransart.

A 9 heures, je transporte mon P.C. à Givry, la 2e D.L.M. devant se regrouper dans la région de Marcoing ultérieurement ; mais, au début de l'après-midi, l'Armée fait connaître que des éléments motorisés ennemis ont été signalés dans la région de Landrecies, Avesnes, Berlaimont. Le général commandant le V° C.A. me donne directement l'ordre de porter ma brigade de combat, qui comprend encore 80 chars, à Givry, en situation d'intervenir, en première urgence, dans la direction du sud et du sud-est; toutes les unités, se battant le jour, se déplaçant la nuit, sont très fatiguées. Le matériel est soigné pendant les accalmies; le moral reste excellent.

Le colonel Arlabosse arrive à mon P.C., précédant un groupement de G.R. du IV° C.A. qui se dirige vers Givry. Je vais voir le général Aymes à son P.C.; il est fortement pressé sur son front, mais il conserve un sang-froid qui fait l'admiration de tous ceux qui l'entourent. Je me rends ensuite au P.C. voisin du général Prioux. Je reçois l'ordre de créer un échelon de repli sur la Dender, de Lens à Mons, avec le 1er R.D.P., le 56° bataillon de mitrailleurs motorisés et mon artillerie. Ma brigade de combat est mise à la disposition du V° C.A. pour protéger son repli tandis que le 8° Cuirassiers est envoyé à Bavai, avec antennes sur Maubeuge et Berlaimont afin de prendre liaison avec les éléments français qui défendent la Sambre, et de les appuyer; si l'ennemi passe la Sambre, il doit couvrir l'aile sud de la 1ère Armée sur l'axe Bavai, Valenciennes. Le mouvement d'encerclement de la 1ère Armée par l'ennemi se dessine.

Officiers d'état-major et officiers de liaison partent à la recherche des différentes unités pour leur communiquer mes ordres.

Le 18, dans la matinée, tout l'échelon de combat, qui a rejoint par fractions successives, occupe une position jalonnée par Jubise, Vivien Roland, la lisière est du Bois de Ghlin-le-Château, le canal de Mons à Condé, la défense de Mons étant assurée par le V° C.A.

Vers 10 heures, le général de Camas, qui commande la 1ère D.I.M, arrive à mon P.C. et me demande de conserver sous ses ordres les éléments de la 2e D.L.M. qui se trouvent dans le secteur qu'il doit occuper: je ne puis lui donner satisfaction, car la situation est telle que je m'attends d'un moment à l'autre à recevoir l'ordre de me transporter sur un autre point du front menacé. Je consens toutefois à laisser momentanément, à sa disposition, le 56° B.M.M.

A midi, les grandes unités d'infanterie (1ère et 12e D.I.M.) sont sur le point de terminer leur repli; j'en profite pour faire relever progressivement les unités de la D.L.M. de façon à les regrouper peu à peu derrière la position tenue par l'infanterie. La situation est calme et jusqu'à présent, aucun contact n'a été pris avec l'ennemi. A 15 heures 30, l'ordre me parvient de regrouper les éléments de la D.L.M. en vue de faire mouvement à partir de 19 heures en direction du sud-ouest. Les colonnes devant traverser la zone d'organisations défensives qui ont été établies à la frontière, j'envoie aussitôt des officiers de la division sur les itinéraires de repli pour éviter la mise en oeuvre prématurée des destructions qui ont dû y être préparées et éviter toute méprise.

Les mouvements s'exécutent assez difficilement; les routes sont encombrées par des colonnes de toutes natures, par les convois de réfugiés, et sont bombardées. Il y a un sérieux embouteillage dans Valenciennes qui est l'objet d'attaque aérienne et où des incendies éclairent le ciel.